On voit de plus en plus de gens porter un masque, en dehors même des personnes pour qui il s’impose : soignants, policiers, caissières, etc. Les experts nous disent que le masque sert moins à se protéger qu’à protéger les autres, si on est infecté sans le savoir (ou même en le sachant). On peut donc interpréter le port du masque par chacun comme un geste altruiste : on le porte en principe non pour soi mais pour les autres.
Pourtant, quand on entend beaucoup de gens se plaindre de la pénurie des masques et en réclamer pour aller travailler, on a l’impression qu’ils les considèrent plutôt comme une protection pour eux-mêmes. Entre l’efficacité réelle et la signification symbolique il y a donc un écart ; à la limite on peut se demander si la seconde ne l’emporte pas de beaucoup sur la première. En témoignerait le fait que les Chinois, qui portent le masque depuis longtemps (et nous reprochent de ne pas le faire), n’ont semble-t-il pas eu moins de morts que nous en proportion. C’est le confinement et la détection des cas positifs qui ont été efficaces plus que le masque.
Les choses se compliquent quand on observe qu’un certain nombre de ces masques sont visiblement bricolés, confectionnés en tissu, sans la qualité des masques chirurgicaux. Ici encore, les experts nous disent que le degré de protection est bien moindre ; pourtant ils rassurent visiblement ceux qui les portent, et sans doute aussi ceux qui les côtoient.
On sait que la pratique de politesse qui consiste à se découvrir vient du fait qu’au Moyen Age, les chevaliers enlevaient leur heaume pour montrer leurs intentions pacifiques. Pareillement se serrer la main était une manière d’indiquer qu’on ne portait pas d’arme. Depuis le début de l’épidémie, l’altruisme consiste au contraire à montrer à l’autre qu’on le protège en s’en distanciant et en se couvrant. Peut-être, dans quelques centaines d’années, cela conduira-t-il à une inversion des pratiques de salutation ? Au lieu de se découvrir et de se serrer la main, on s’éloignera et on portera à sa bouche un morceau de tissu dont on aura oublié l’origine. Ce qui montre que les pratiques d’abord motivées par une efficacité réelle finissent souvent par devenir des usages dont la signification est essentiellement symbolique, appelant une interprétation plutôt qu’une explication.